Voici un article de Monique Grande paru dans la revue Rêves de Femmes (N° 40) en Janvier 2016.

L’engouement actuel pour la femme sauvage mérite d’approcher de plus près sa symbolique. Concept élaboré par Clarissa Pinkola Estés et directement issu de la psychologie analytique, l’archétype de la femme sauvage fait partie intégrante de la féminité.

Comme toute figure archétypale, elle est ni vieille, ni jeune et apparait, dans la littérature et dans l’art en général, sous les traits d’une femme sans âge aux traits parfois juvéniles. Elle est femme-animale ou grande déesse-mère corpulente. Dans les contes, elle prend l’apparence d’une femme indomptable et robuste, vêtue d’une simple peau de bête et courant dans les bois avec les bêtes sauvages. Elle a la beauté des êtres qui ne possèdent rien mais qui portent toute la sagesse du monde en eux. Chez certaines ethnies, il est dit que lorsqu’un être humain s’anime ainsi de vitalité et de force, c’est le signe que son âme a enfin donné naissance à son esprit. Ce mariage de l’âme et de l‘esprit permet à chacun de vivre une vie indépendante dans le monde et d’accéder à une forme de béatitude faite à la fois de perspicacité, de vivacité, de sagesse et de tranquillité.

Dans notre monde où tant de fléaux modernes occupent le devant de la scène : course à la jeunesse, quête matérielle, frénésie du pouvoir ou individualisme de l’égo… de nombreuses femmes sont en quête de sens. Ainsi peut-on voir grandir une espèce particulière de femmes, dotées d’un fil de soie rouge aussi solide que la corde d’un puissant navire, tissant à leur manière un lien immuable avec la lumière de leur instinct ! Ces femmes dites « sauvages » semblent avoir beaucoup de choses à nous dire. Et si vous prêtez l’oreille, vous pouvez les entendre chanter. Leur chant singulier raconte comment la nature sauvage va de l’avant et persévère, même meurtrie par la vie.

Nous avons tendance, nous les femmes, à nous sentir incomprises. Nous rêvons en secret de partenaires capables de deviner en un regard qui nous sommes et ce nous souhaitons vivre. Nous faisons trois pas en avant sous couvert d’un élan créatif hors du commun, posant aussitôt l’ouvrage en prétextant que tout est compliqué ! Mais si nous ne sondons pas notre inconscient pour savoir ce que nous voulons vraiment pour notre propre vie, nous prenons le risque de nous retrouver boiteuses ou complètement asphyxiées par les brumes de l’existence. Certaines femmes inexpérimentées n’ont souvent pas conscience de la puissance de l’adversité ou de la malveillance de certaines personnes, et se révèlent démunies face aux dangers de l’existence. Alors elles s’échouent comme des bateaux au creux des falaises, dévastées par la douleur et le chagrin.

Dans la psyché féminine, il existe parfois une sorte d’associé intime obscur tapi dans l’ombre qui pousse les femmes à vivre des existences décevantes. Il peut devenir au fil du temps semblable aux vilaines herbes d’un jardin, étouffant la moindre floraison. C’est le cas des femmes chez qui les sentiments sombres l’emportent sur la joie de vivre ou de celles qui se placent dans l’ombre des hommes. Quelque chose de malveillant semble avoir raison de leurs élans. Avant même d’entreprendre quoi que ce soit, elles s’auto censurent : « Cela ne vaut pas la peine ! A quoi bon essayer ! ». Leur dévalorisation permanente réduit en cendre la moindre tentative de mise en route. Elles ressentent un profond sentiment d’insécurité et se considèrent même comme des cas désespérés. Cette forme de paralysie anesthésie d’office toute action et les rend quasiment inertes. Mais celles qui quittent leur foyer sans un sou en poche, les brisées, déchues, violées, qui ont tout perdu dans un seul coup de tonnerre, tout en renaissant plus tard de leurs cendres, connaissent la profondeur du féminin. Elles ont côtoyé de près sa douceur et sa force. Elles savent comment faire pour rentrer chez soi, réveiller la psyché assoupie et tirer leçon des épreuves. Car, récupérer la santé après un danger de mort ne consiste pas seulement à être secourue et bercée, encore faut-il ouvrir ses yeux et ouvrir son esprit pour le faire grandir. Et grandir pour une femme, c’est aussi s’éveiller à son propre masculin !

Chez la femme, la personnification masculine de l’inconscient, dénommée par le psychiatre C.Jung sous le nom d’Animus, représente sa masculinité souterraine, son yang caché, sa capacité à agir. Pour une femme qui s’éveille, reconnaître la nature de cet associé intime pour en faire un collaborateur bienveillant constitue une étape essentielle. Les femmes ayant vécu des chocs importants ou une enfance malheureuse, les femmes romantiques ou idéalistes, sont invitées à mieux comprendre comment certaines figures masculines opèrent en elles inconsciemment. Une femme qui parvient à convertir son animus meurtrier ou manipulateur en allié positif flaire aussitôt le parfum d’une nouvelle vie. Elle découvre le gout de l’effort, de la persévérance, son autonomie de pensée, sa liberté d’action, progressivement elle prend sa place. Alors elle peut faire jaillir ses dons créateurs et vivre plus sereinement !

Pour ma part, je pense que la manière dont nous demeurons socialement absentes des grands débats de société signe encore la faiblesse de notre masculin. Nul besoin d’être féministe, amazone ou guerrière pour s’impliquer davantage.La femme sauvage est une femme libérée de son associé obscur mais toujours proche de sa sensibilité.Dans un monde qui réduit de plus en plus le rôle des femmes, cette femme-là est forcément bâillonnée.Ainsi, travailler sur nos ombres et nos conditionnements pour que nos polarités féminines et masculines se complètent et s’harmonisent, reste incontournable.

Monique Grande

 

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